CONSTITUENT POWER
POUVOIR CONSTITUANT
Kemal Gözler in English
— Draft Translation in Progress —
Chapitre 4 LE POUVOIR CONSTITUANT EST-IL LIMITÉ ? |
Chapter 4 IS THE CONSTITUENT POWER LIMITED? |
Tout d’abord notons que l’intitulé de cette section est trompeur. Car, il y a deux pouvoirs constituants: l’un est originaire et l’autre dérivé. Et, comme on l’a vu dans le deuxième chapitre, ces deux pouvoirs constituants diffèrent par les conditions de leur exercice. C’est pourquoi, il convient de poser deux questions à la place de celle posée dans le titre: |
First of all, we note that the title of this section is misleading. For there are two constituent powers: one is originating and the other derived. And, as we saw in the second chapter, these two constituent powers differ in the conditions of their exercise. This is why two questions should be asked instead of the one asked in the title: |
— Le pouvoir constituant originaire est-il limité? |
— Is the |
— Le pouvoir constituant dérivé est-il limité? |
– Is the derived constituent power limited? |
A notre avis, si l’on ne pose pas cette question en la divisant en deux comme ci dessus, il pourrait y avoir un risque de confusion entre le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire et celui de la limitation du pouvoir constituant dérivé. Cette confusion a été récemment illustrée par la décision n° 92 312 DC du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992. Dans cette décision, le Conseil a déclaré que «sous réserve… des limitations…, le pouvoir constituant est souverain»[1]. A propos de cette décision, certains auteurs ont soutenu que le pouvoir constituant est limité et que cette décision doit «être interprétée comme admettant le contrôle des lois constitutionnelles adoptées par le Congrès»[2]. Par contre, à propos de la même décision, d’autres auteurs pensent que le Conseil constitutionnel a affirmé dans cette décision le «caractère souverain du pouvoir constituant»[3]. Dans le même sens, certains auteurs interprètent cette décision comme refusant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement[4]. |
In our opinion, if this question is not asked by dividing it in two, as above, there might be a risk of confusing the problem of the limitation of the originating constituent power and that of the limitation of the derived constituent power. This confusion was recently illustrated by decision no. 92-312 DC of the Constitutional Council of September 2, 1992. In this decision, the Council declared that “subject … to limitations …, the constituent power is sovereign”. [1] Regarding this decision, some authors have argued that the constituent power is limited and that this decision must “be interpreted as admitting the control of constitutional laws adopted by Congress”.[2] On the other hand, with regard to the same decision, other authors think that the Constitutional Council affirmed in this decision the “sovereign character of the constituent power”.[3] In the same sense, some authors interpret this decision as refusing to control the constitutionality of constitutional laws passed by the Congress of Parliament[4]. |
Notons tout de suite que sans avoir préalablement déterminé quel pouvoir constituant (originaire ou dérivé) le Conseil constitutionnel entend-il par l’expression «pouvoir constituant» employée dans la décision, la question de savoir si le «pouvoir constituant» est souverain ou limité ne peut pas être résolue. |
We immediately note that without having first determined which constituent power (originating or derived) the Constitutional Council means by the expression “constituent power” employed in the decision, the question of whether the “constituent power” is sovereign or limited cannot be resolved. |
Comme le remarque à juste titre Olivier Beaud, «le vocabulaire utilisé par le juge est donc trompeur: la loi constitutionnelle de révision n’exprime ni un ‘pouvoir constituant [originaire]’ ni un ‘pouvoir souverain’, mais bien plutôt un pouvoir constitué»[5]. Ainsi le Conseil constitutionnel confond ici le pouvoir constituant dérivé avec le pouvoir constituant originaire. On peut trouver également la même confusion à peu près chez tous les commentateurs de cette décision[6]. Il est intéressant de voir qu’ils parlent de «pouvoir constituant» et jamais de «pouvoir constituant originaire» ni de «pouvoir constituant dérivé»[7]. |
As Olivier Beaud rightly remarks, “the vocabulary used by the judge is therefore misleading: the constitutional law of revision expresses neither a ‘constitutent power [originating]’ nor a ‘sovereign power’, but rather a constituted power”.[5] Thus, the Constitutional Council here confuses the derived constituent power with the originating constituent power. The same confusion can also be found among most commentators on this decision.[6] It is interesting to see that they talk about “constituent power” and never about “originating constituent power” nor about “derived constituent power”.[7] |
Sans avoir établi une distinction claire entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé, on ne peut pas résoudre la question de leur limitation. Car, comme on l’a vu au deuxième chapitre[8], ces deux pouvoirs constituants diffèrent par les conditions de leur exercice. |
Without establishing a clear distinction between the originating constituent power and the derived constituent power, the question of their limitation cannot be resolved. Because, as we saw in the second chapter,[8] these two constituent powers differ in the conditions of their exercise. |
Par conséquent, à notre avis, à chaque fois que l’on parle de la limitation du pouvoir constituant, il faut toujours préciser le type (originaire ou dérivé) du pouvoir constituant dont il s’agit. Car, même si, du point de vue de leur fonction, le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé se trouvent sur un pied d’égalité[9]; du point de vue de leur organisation, il y a un rapport hiérarchique entre eux. Le pouvoir constituant dérivé est inférieur au pouvoir constituant originaire, car il en dérive[10]. |
Therefore, in our opinion, whenever we speak of the limitation of the constituent power, we must always specify the type of constituent power in question, (originating or derived). Because, even if, from the point of view of their function, the originating constituent power and the derived constituent power are on an equal footing[9]; from the point of view of their organization, there is a hierarchical relationship between them. The derived constituent power is inferior to the originating constituent power, because it is derived from it.[10] |
Ainsi il faut examiner séparément la question de la limitation de ces deux pouvoirs constituants originaire et dérivé, parce qu’ils diffèrent par les conditions de leur exercice. |
It is therefore necessary to separately examine the question of the limitation of these two constituent powers, originating and derived, because they differ in the conditions of their exercise. |
Comme nous l’avons déjà remarqué au deuxième chapitre, pour éviter toute confusion, dans notre travail, nous préférons utiliser l’expression de «pouvoir de révision constitutionnelle» à la place du «pouvoir constituant dérivé», alors que l’expression «pouvoir constituant originaire» est maintenue. Ainsi il n’y aura plus de risque de confondre ces deux pouvoirs constituants à cause de leur appellation. Alors nous allons examiner ici les deux questions suivantes : |
As we have already noticed in the second chapter, to avoid any confusion, in our work, we prefer to use the expression “power of constitutional revision” instead of “derived constituent power”, while the expression “originating constituent power” is maintained. Thus there will be no more risk of confusing these two constituent powers because of their name. So here we will examine the following two questions: |
1. Le pouvoir constituant originaire est-il limité? |
1. Is the originating constituent power limited? |
2. Le pouvoir de révision constitutionnelle est-il limité? |
2. Is the power of constitutional revision limited? |
1. Le pouvoır constituant originaire est-il limité? |
1. Is the originating constituent power limited? |
Voyons d’abord la thèse favorable à la limitation du pouvoir constituant originaire. |
First, we will look at the theory favoring the limitation of the originating constituent power. |
A. La thèse selon laquelle le pouvoır constıtuant orıgınaıre est lımıté |
A. The theory that the originating constituent power is limited |
Les partisans de cette thèse fondent la limitation du pouvoir constituant originaire d’une manière très différente. Ils proposent diverses limites à l’exercice du pouvoir constituant originaire: les principes du droit naturel, les droits de l’homme, les principes généraux du droit, etc. En effet, tous ces principes sont nécessairement de caractère supraconstitutionnel. Car, puisque le pouvoir constituant originaire, étant le créateur de la constitution, ne peut pas être limité par sa propre création, il ne peut être logiquement limité que par des principes supraconstitutionnels. A notre avis, les thèses favorables à l’existence de principes supraconstitutionnels ne sont pas fondées[11]. |
Supporters of this theory establish the limitation of the originating constituent power very differently. They propose various limits to the exercise of the originating constituent power: the principles of natural law, human rights, general principles of law, etc. Indeed, all these principles are necessarily of a supra-constitutional character. For, since the originating constituent power, being the creator of the constitution, cannot be limited by its own creation, it can only be logically limited by supraconstitutional principles. In our opinion, theories favorable to the existence of supra-constitutional principles are unfounded.[11] |
D’ailleurs, notons que les partisans de la thèse de la limitation du pouvoir constituant originaire proposent des limites à l’exercice de ce pouvoir, mais ils n’examinent pas la question de savoir si ce pouvoir peut être limité ou non. En d’autres termes, ce que discutent ces auteurs, c’est par quoi, et non pas comment le pouvoir constituant originaire est limité. Or, ils doivent nous démontrer d’abord comment le pouvoir constituant originaire est limité, avant de dire par quoi il est limité. Ils ne le font pas, car il est justement impossible de le faire. Parce que, selon une autre thèse, qui est la seule fondée à notre avis, le pouvoir constituant originaire n’est pas susceptible d’être limité. Voyons donc cette deuxième thèse. |
Furthermore, we note that partisans of the theory of the limitation of the originating constituent power propose limits to the exercise of this power, but they do not examine the question of whether or not this power can be limited. Put another way, these authors discuss by what, and not how, the originating constituent power is limited. However, they must first demonstrate how the originating constituent power is limited, before telling us what limits it. They do not do this precisely because it is impossible to do. For, according to another theory, which in our view is the right one, the originating constituent power is not susceptible of limitation. So, let’s take a look at this second theory. |
B. La thèse selon laquelle le pouvoır constituant originaıre est illimité |
B. The theory of the originating constituent power as unlimited |
Tout d’abord notons que, si la thèse de la limitation du pouvoir constituant originaire est soutenue par les auteurs jusnaturalistes, cette présente thèse est soutenue en revanche par les constitutionnalistes positivistes en général. Il est significatif de voir que mêmes les auteurs qui refusent le caractère de fait du pouvoir constituant originaire acceptent le caractère illimité de ce pouvoir[12]. |
First of all, we note that if the theory of the limitation of the originating constituent power is supported by the jusnaturalist authors, this present theory is supported on the other hand by the positivist constitutionalists in general. It is significant to see that even authors who reject the factual character of the originating constituent power accept the unlimited character of this power.[12] |
Commençons d’abord en précisant le sens du problème. Le fait que le pouvoir constituant originaire soit illimité signifie que lorsque ce pouvoir établit une nouvelle constitution, il n’est pas obligé de se conformer à une quelconque règle juridique. A notre avis, le pouvoir constituant originaire est illimité parce que, lorsqu’il fait une nouvelle constitution, il ne rencontre aucune règle juridique qui pourrait s’imposer à son exercice. Car, le pouvoir constituant originaire est un pur fait et il apparaît dans les circonstances de vide juridique. |
Let’s start first by specifying the meaning of the problem. The fact that the originating constituent power is unlimited means that when this power establishes a new constitution, it is not obliged to conform to any legal rule. In our opinion, the originating constituent power is unlimited because, when it makes a new constitution, it encounters no legal rule which might be imposed on its exercise. For, the originating constituent power is a pure fact and it appears in the circumstances of a legal void. |
Nous avons vu qu’il y a deux types de vide juridique[13]: le vide juridique déjà existant et le vide juridique créé.&nbps; Dans le vide juridique existant, c’est à dire, lorsque le pouvoir constituant originaire fait la toute première constitution du pays, il est évident qu’il n’y a aucune règle juridique qui va le limiter, puisqu’il n’existait pas avant de constitution dans le pays. Dans le second cas aussi le pouvoir constituant originaire est un pouvoir illimité. Car, dans cette hypothèse le pouvoir constituant originaire, après avoir abrogé ou déconstitutionnalisé la constitution en vigueur, établit une nouvelle constitution. Il est évident que, dans cette phase aussi le pouvoir constituant originaire est illimité, car puisque les règles de l’ancienne constitution sont préalablement abrogées ou déconstitutionnalisées, il n’existe aucune règle qui peut s’imposer à l’exercice du pouvoir constituant originaire. |
We have seen that there are two types of legal void[13]: the already existing legal void and the created legal void. In the existing legal void, meaning when the originating constituent power makes the very first constitution of the country, it is obvious that there is no legal rule to limit it, because there exists no prior constitution in the country. In the second case, too, the originating constituent power is an unlimited power. Because, in this hypothesis, the originating constituent power, after having abrogated or deconstitutionalized the constitution in force, establishes a new constitution. It is evident that in this phase also, the originating constituent power is unlimited, for since the rules of the old constitution are first abrogated or deconstitutionalized, there is no rule which can be imposed on the exercise of the originating constituent power. |
En effet pour que le pouvoir constituant originaire soit limité, il faut qu’une constitution en vigueur puisse interdire son abrogation ou sa déconstitutionnalisation par le pouvoir constituant originaire. Or, comme on l’a vu plus haut[14], les constitutions ne le font pas. C’est à dire qu’elles n’interdisent pas leur révision révolutionnaire. Même si une constitution comporte une disposition interdisant sa révision révolutionnaire, cette disposition n’a aucune valeur juridique, car, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de fait qui s’exerce par les voies révolutionnaires. Une constitution ne peut ni prévoir ni interdire sa révision révolutionnaire. Les révolutions sont des phénomènes qui ne connaissent pas de restrictions juridiques. |
In fact, in order for the originating constituent power to be limited, a constitution in force must be able to prohibit its abrogation or its deconstitutionalization by the originating constituent power. However, as we saw above,[14] constitutions do not do this. Which is to say, they do not prohibit their revolutionary revision. Even if a constitution includes a provision prohibiting its revolutionary revision, this provision has no legal value, because the originating constituting power is a de facto power which is exercised by revolutionary means. A constitution can neither foresee nor forbid its revolutionary revision. Revolutions are phenomena that know no legal restrictions. |
Ensuite, à propos de la question de savoir si le pouvoir constituant originaire est limité se pose une autre question: l’organisation d’un organe chargé de la révision de la constitution signifie-t-elle la limitation du pouvoir constituant originaire? La réponse est non. Car, cet organe peut être toujours anéanti par le pouvoir constituant originaire. En effet, comme le montre le président Dmitri Georges Lavroff, |
Then, with regard to the question of whether the originating constituent power is limited, another question arises: does the organization of a body responsible for the revision of the constitution signify the limitation of the constituent power? The answer is no. Because this organ can always be annihilated by the originating constituent power. Indeed, as president [chairman?] Dmitri Georges Lavroff shows, |
«la seule obligation que le souverain s’est créée en établissant une organisation constitutionnelle, c’est de respecter sa présence et non pas de s’imposer son maintien. Le constituant originaire a toujours la possibilité de modifier l’organisation constitutionnelle, les organes institués qu’il a mis en place, il a simplement l’obligation de mettre fin à l’institution qu’il a créée avant de la remplacer par une autre, mais il n’est jamais obligé de la conserver indéfiniment »[15]. |
“The only obligation that the sovereign created for itself in establishing a constitutional organization is to respect its presence, and not to impose upon itself the duty of its maintenance. The originating constituent can always modify the constitutional organization, the instituted bodies that it has set up, it simply is obliged to put an end to the institution that it created before replacing it with another, but it is never obliged to keep it indefinitely”.[15] |
Ainsi, le pouvoir constituant originaire a toujours la possibilité d’anéantir l’organe chargé de la révision constitutionnelle qu’il a lui-même créé. |
Thus, the originating constituent power can always annihilate the body responsible for constitutional revision that it has created. |
Enfin, il convient de préciser les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels ne s’imposent à l’exercice du pouvoir constituant originaire. Car, ces limites sont adressées, non pas au pouvoir constituant originaire, mais au pouvoir de révision constitutionnelle. En effet, comme on l’a expliqué, le pouvoir constituant originaire est un pur fait qui ne connaît pas de restriction juridique. D’ailleurs ces limites sont prévues par le pouvoir constituant originaire lui-même, par conséquent, il serait illogique de prétendre que ce pouvoir est limité par ces propres créations[16]. Comme le remarque à juste titre Georges Burdeau, |
Lastly, it should be specified that limits inscribed in the constitutional texts do not apply to the exercise of originating constituent power. Because these limits are not addressed to the originating constituent power, but to the power of constitutional revision. Indeed, as has been explained, the originating constituent power is a pure fact which knows no legal restriction. Moreover, these limits are foreseen by the originating constituent power itself, consequently, it would be illogical to claim that this power is limited by these, its own creations.[16] As Georges Burdeau rightly points out, |
«lorsque la constitution interdit qu’il soit porté atteinte à la forme du régime…, elle ne proclame nullement l’immutabilité absolue des institutions, ce qui serait un non-sens. Elle refuse seulement à l’organe de révision, la faculté d’opérer des réformes qui, par leur nature ou leur importance, dépassent les possibilités d’un pouvoir institué. Mais ces mêmes réformes, il appartient toujours au pouvoir constituant originaire de les réaliser»[17]. |
“when the constitution makes the form of the regime unassailable…, it in no way proclaims the absolute immutability of the institutions, which would make no sense. It only denies the organ of revision the faculty to operate reforms which, by their nature or their importance, exceed the potential of an instituted power. But it always belongs to the originating constituent power to achieve these reforms”.[17] |
En conclusion, pour nous, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir toujours illimité. |
In conclusion, for us, the originating constituent power is always an unlimited power. |
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